« La nuit derniere, j’ai reve que je retournais a Manderley« . J’ai voix off de Joan Fontaine, enigmatique et solennelle, egraine ces mots tandis qu’en votre lent travelling, la camera penetre ce secteur majestueux et inquietant de Manderley. D’abord un portail, puis un sous-bois, ainsi, soudain le manoir, comme une apparition fantomatique, une image mentale qui ne subsisterait que au domaine trouble des reves. C’est l’introduction mythique du Rebecca d’Alfred Hitchcock (1940), qui, dit-on, inspira a Orson Welles l’ouverture de Citizen Kane, tout comme le manoir de Manderley servit de modele a sa forteresse de Xanadu. Premier film americain et premiere collaboration d’Hitchcock avec David O. Selznick, le tournage se heurta a toutes les temperaments orageux des deux hommes, et a leurs visions divergentes du roman de Daphne du Maurier dont la soiree est tire. Rebecca demeure neanmoins l’un des (nombreux) sommets une filmographie himalayenne de Hitchcock, ainsi, le chateau de Manderley, glacialement spectral ou vacillant sous nos flammes, l’une des images les plus profondement gravees dans l’imaginaire cinephile.
Ce n’est nullement un remake de la video de Hitchcock, nous avertit gravement le dossier comptables du film, mais une nouvelle adaptation (censement modernisee) du roman de Daphne du Maurier que publie Netflix ce 21 octobre. Difficile cependant de se departir de l’ombre vampirisante du maitre britannique, ainsi,, apres que le « toudoum » rituel des productions Netflix a raisonne tel votre gong, c’est une phrase familiere qui accompagne une deambulation fievreuse dans les allees d’un domaine non moins familier : « J’ai nuit derniere, j’ai reve que je retournais a Manderley« .
Ce n’est plus Joan Fontaine, mais Lily James (Baby Driver, Downton Abbey) qui incarne une jeune dame de compagnie aux services d’une veuve acariatre en villegiature a Monte-Carlo. Alors que sa vie lui semble une prison, la petit femme croise la route de Maxim de Winter (incarne par Armie Hammer qui reprend le flambeau brulant laisse par Laurence Olivier), jeune et riche veuf ayant perdu sa femme, Rebecca, dans des circonstances tragiques tenues secretes. Apres une romance express concernant la Cote d’Azur, les deux soupirants s’unissent, et Maxim emmene la nouvelle Mrs de Winter dans sa demeure ancestrale de Manderley, quelque part sur la mysterieuse cote des Cornouailles. Mes premiers contacts avec le personnel du manoir, regente par l’inquietante Mrs Danvers, sont glaciaux. Cette derniere (sous nos traits de Kristin Scott Thomas, a l’espace de Judith Anderson), attachee depuis i chaque fois aux services de feue Mrs de Winter, voue un culte a sa maitresse defunte, ainsi, voit d’un mauvais ?il l’intrusion d’une « usurpatrice ». Alors que le fantome de Rebecca continue de hanter le chateau, des secrets enfouis vont ressurgir.
C’est a Ben Wheatley, ancien clippeur reconverti cineaste, que l’on devra une telle relecture du roman de Daphne du Maurier (autant que du chef-d’?uvre d’Hitchcock, qu’on le veuille ou non). Specialiste du croisement des genres, a J’ai peripherie du cinema bis, Weatley aura connu de grosses sommes diverses : un certain succes avec Kill List (2011), improbable hybridation entre du Ken Loach et un folk horror movie, ainsi, bien de revers comme avec Touristes (2012), romance gore entre deux desaxes, High-Rise (2015), relecture retrofuturiste d’un roman de J.G. Ballard, mais sites de rencontres pour rencontrer des femmes asiatiques aussi Free Fire (2016), huis clos petardant lointainement tarantinien. Si le gout Afin de la collection B et l’enchevetrement des genres ne le predestinait a priori nullement a readapter le roman de Daphne du Maurier, la maniere qu’a le recit de fuguer d’un registre a l’autre, d’la romance ensoleillee au drame psychologique – voire au film de fantome crypto-fantastique – aurait enfin pu lui sied. Helas, en tentant de s’approprier le roman et d’en actualiser (timidement) les enjeux, le cineaste desepaissit le trouble veneneux qui enfievrait l’adaptation d’Hitchcock, et rend son entreprise bancale.
Si ce Rebecca 2020 beneficie d’une mise en scene appliquee, elle manque cruellement de vertige. Le jeu stupefiant sur la profondeur de champ, dans un noir et blanc abrasif, qui rendait chez Hitchcock les travees de Manderley aussi belles que lugubres, fait place a une teinte bleutee vaporeuse (etalonnee a J’ai serpe numerique) censee emuler par la teinte, l’etrangete atmospherique du chateau. Mes plusieurs sequences de reve, additions de Wheatley au materiau d’origine, seront quant a elles platement symbolistes – le sol qui se transforme en racines vivantes et emporte l’heroine dans les trefonds du manoir – pour ne point dire terriblement convenues.
Mais le veritable probleme du film se situe dans la maniere assez illisible qu’il a de chercher a moderniser votre recit vieux de 80 ans. S’il suit longuement le canevas de l’adaptation d’Hitchcock, a plusieurs details insignifiants pres, c’est dans le soir tiers, au moment ou advient la revelation terrible dans votre mort de Rebecca (dont on taira ici la nature), que le film bifurque. Censure oblige, Hitchcock avait du contourner ce passage cle du roman (ou il va i?tre question d’un meurtre) pour le rendre acceptable aux yeux de la production et du public. Wheatley revient donc a l’explication originelle une mort, celle du roman. Or, c’est justement dans l’esquive geniale d’Hitchcock, dans son louvoiement malicieux, qu’affleurait toute la perversite larvee du recit. Contraint de taire la nature veritable une mort de Rebecca lors de la scene fameuse une cabane de peche, Hitchcock transformait le dialogue remanie en 1 aveu mutique, ou Notre mise en scene prenait le jamais sur les mots, pour enfin envoyer avec l’image (un vacillement, une hesitation, 1 gros plan qui ne trompe gui?re) votre qu’on lui sommait justement de dissimuler. En esquivant cette esquive, Afin de se conformer a J’ai version du roman, Wheatley efface un trouble incandescent.